La chasse : quel bilan au niveau écologique ?

Avec la multiplication des accidents de chasse récents (septembre et octobre 2018 – voir source), beaucoup de questions se posent concernant cette activité. Au point que diverses émissions de radio et de télé ont abordé le sujet et demandé à leurs auditeurs s’ils voulaient une suppression de la chasse en France. Tous les résultats confirment qu’une majorité des français est contre la chasse, y compris un sondage du très sérieux institut IPSOS – cliquez sur l’image pour lire le document.

Sondage_Ipsos_Chasse

La plupart des gens qui rejettent la chasse sont contre par respect pour les animaux, par crainte des accidents sur les humains et pour leur tranquillité lors des activités en plein-air. Toutefois, les partisans de la chasse, en dehors des chasseurs eux-mêmes qui, forcément, soutiennent leur activité favorite, justifient leur préférence car ils estiment que la chasse est nécessaire pour la “régulation”. Cette régulation est l’argument des chasseurs qui se présentent comme les “premiers écologistes de France”.

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Voyons la notion de “régulation”  de plus près

L’idée répandue est qu’il y a “trop” de certains animaux car leurs prédateurs ayant disparu, ils prolifèrent. Ainsi, le chasseur aurait le rôle du prédateur, limitant les populations à un niveau “idéal”. Cela implique de vérifier trois affirmations.

  1. Il y a “trop” de certains animaux
  2. Le prédateur régule la densité de population de ses proies
  3. La chasse est une réponse efficace au problème

Pour vérifier simplement ces hypothèses, nous allons regarder deux exemples très simples qui permettent une bonne compréhension des mécanismes.

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Imaginez une région naturelle avec une certaine densité d’arbres fruitiers où vit un oiseau strictement frugivore, disons un perroquet. La région produit des fruits toute l’année, mais à certaines saisons, il y en a moins qu’à d’autres. Ce minimum annuel est le facteur limitant : si durant un mois il y a de la nourriture pour, disons, 500 perroquets maximum, il y aura, à ce moment, 500 perroquets et pas plus.

Les oiseaux adaptent leur période de nidification selon la saison, pour nourrir leurs jeunes quand les fruits sont les plus abondants. Le nombre va donc augmenter avec la nidification, jusqu’à 1000, 1500 individus (4 à 6 jeunes par couple est très raisonnable) qui vont se gaver de fruits… jusqu’à la “basse” saison où la quantité de fruits disponible va limiter la population à 500.

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La présence ou non d’un prédateur ne va pas changer ce chiffre de 500 en basse saison. Ce que le prédateur va changer est la façon dont les individus vont disparaître. Sans prédateur, les individus qui ne meurent pas d’accident ou de maladie vont soit mourir de faim, soit mourir dans un combat à mort avec un congénère pour un fruit, soit quitter la région. Cette dispersion d’individus non nicheurs en basse saison est l’origine de beaucoup de populations actuelles. Un cas classique à savoir nous vient des oiseaux des îles Canaries ou d’autres îles volcaniques comme celles du Cap Vert. Ces îles sortent de l’océan sans oiseaux. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas des migrateurs au long cours qui s’y installent. Ce sont, en effet, surtout des oiseaux partiellement sédentaires dont les mouvements de population sont conditionnés par la disponibilité de la nourriture, qui ont colonisé les Canaries. Ce sont notamment les ancêtres des espèces suivantes qui se sont installés sur l’archipel et forment les populations qui y nichent aujourd’hui : Mésange bleue, Pinson des arbres, Serin cini (cliquez sur la photo ci-dessous pour voir son descendant des Canaries), Linotte mélodieuse, Fauvette mélanocéphale, Pigeon ramier, Roitelet huppé, Outarde houbara, Ganga unibande, Courvite isabelle, Goéland leucophée, Perdrix gambra, etc. Il n’y a pas de migrateurs au long cours communs installés comme les loriots, hirondelles, guêpiers, etc. Quelques cas “hybrides” comme le Martinet unicolore mériteraient d’être approfondis mais sont des exceptions.

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Revenons à nos perroquets. Si un prédateur capable de les attraper, par exemple le Faucon lanier, est présent, va-t-il faire diminuer la population de perroquets ?

La réponse est simple : non. Ce faucon ne peut consommer, au maximum, que les individus en “surplus”, ceux qui mourraient de faim, de bagarre ou qui partiraient faute de nourriture, soit les 500 ou 1000 individus de notre exemple. C’est facile à comprendre : si les faucons mangent plus que ce qui est produit en surplus, ils feraient diminuer la population de perroquets. Or, tant que le faucon mange bien, sa population à lui ne va pas diminuer. Toutefois, si le “surplus” produit par une population de 500 perroquets est insuffisant, qu’en sera-t-il du surplus de 450 ou 400 ? Encore pire… donc l’extinction du perroquet serait inéluctable. Le perroquet étant toujours là, c’est bien la preuve que le faucon ne fait pas diminuer sa population. Une image bancaire est très explicite : vivre sur les intérêts est durable mais si on puise sur le capital alors, un jour, il ne reste plus rien…

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On peut se demander dès lors à quoi “servent” les prédateurs dans les écosystèmes s’il ne régulent pas les proies ! Voyons avec un autre exemple pour expliquer.

Imaginez une région totalement naturelle d’Afrique avec une certaine surface de savane où broutent les Buffles. Ces derniers vivent en grands groupes, et broutent presque toute l’herbe d’un endroit avant de se déplacer vers un autre endroit. Cette zone est donc mise à nu, séchée par le soleil et piétinée par les pattes des animaux. Il lui faudra du temps pour se régénérer. Les Buffles vont recommencer sur une autre zone et ainsi de suite. Leur population sera limitée par la surface herbeuse disponible. Si la population de Buffles était trop élevée, il arriverait un moment où toutes les zones herbeuses auraient été broutées et piétinées trop récemment et la nourriture ne sera plus suffisante. Certains Buffles mourraient, d’autres partiraient loin, tentant leur chance, comme les perroquets dans notre exemple précédent.

La présence du Lion va changer la donne. Lors des attaques des Lions, les Buffles vont courir et, après l’attaque, vont souvent se rassembler sur une autre zone. La régénérescence  des graminées est donc plus rapide et la nourriture disponible pour les Buffles est donc supérieure. En fait, la présence d’un prédateur peut même ainsi augmenter la dynamique de population des proies et non pas la diminuer !

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Comme dans le cas des perroquets, l’impact des captures du Lion sur les Buffles est nécessairement nul en termes de population (ils vivent sur les intérêts et non pas sur le capital). C’est particulièrement facile à visualiser dans cet exemple. En effet, les troupeaux de Buffles comme la plupart des herbivores africains sont composés d’un mâle dominant, de nombreuses femelles et de divers jeunes. Un jeune mâle qui arrive à l’âge adulte reste peu de temps. Dès le moment où il veut s’accoupler, il doit défier le mâle dominant dans un combat singulier. Le perdant doit alors quitter la troupe, et terminera sa vie en solitaire, parfois en compagnie d’un ou deux autres mâles exclus (parfois appelés “losers“). Ce sont principalement ces mâles solitaires qui nourrissent les Lions : la plupart des attaques sur un troupeau se soldent par un échec. Le prélèvement des Lions concernent donc principalement des individus non-reproducteurs, ce qui facilite encore plus la compréhension du “non-impact” sur la densité de population de proies.

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Le cas d’une seule espèce de proie et d’un prédateur est simplifié par souci didactique. Si vous avez compris le fonctionnement, vous verrez que dans un écosystème réel, non simplifié, c’est encore plus flagrant. Non seulement les prédateurs ne capturent que parmi les individus en surplus, mais ils ne consomment pas tout ce qui est disponible, car si la pression est forte sur une espèce, elle réagit. Les individus les plus distraits, les moins habiles ou les moins vifs sont capturés en premier et, forcément, les plus habiles survivent. Ainsi, lorsque les proies les plus faciles à capturer sont déjà mangées chez une espèce, le prédateur va évidemment se tourner vers d’autres espèces qui offrent encore des individus en surplus, faciles à attraper.

Tout cela démontre que les deux premières affirmations sont fausses. Il n’y a pas de surpopulation et ce n’est pas l’absence de prédateurs qui expliquent des populations élevées. La chasse n’est donc en aucun cas utile en tant que “remplaçante” d’un prédateur perdu.

Que faire si un animal nous dérange ?

Un animal sauvage n’est pas en surpopulation : il a toujours une population en adéquation avec les ressources qui lui conviennent. Il a une population qui peut empiéter sur nos activités, mais de son point de vue, c’est nous qui sommes en surpopulation. L’agriculture moderne détruit les écosystèmes (il suffit de voir les champs totalement dénudés après les labours) pour y faire pousser uniquement ce que nous souhaitons consommer.  Dès qu’une plante pousse entre nos pieds de maïs, elle est considérée comme “mauvaise herbe”. Dès qu’un animal mange nos blés, on le considère comme nuisible… mais que va-t-il manger si on ne laisse rien d’autre pousser que nos plantations ?

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La plupart des animaux “régulés” par la chasse sont des mammifères. Alors que les mammifères sauvages étaient abondants il y a encore un siècle, il ne reste presque plus rien. Pour preuve, en termes de masse totale, ils ne sont que 4% contre 60% pour le bétail et animaux domestiques et 36% pour les humains (source en anglais) !

Comment parler de régulation pour des populations en voie d’extinction ? Les mammifères “gibiers” sont en fait les quelques rares espèces qui survivent malgré une omniprésence des humains et de leurs activités, parfois avec l’aide directe des humains (notamment via l’agrainage en forêt). À l’instar de la moindre fleur dans un champ cultivé considérée comme une mauvaise herbe, le moindre animal consommant le produit des cultures est considéré comme un nuisible. Le problème n’est donc pas l’animal mais bien l’agriculture. Ces déséquilibres écosystémiques nous indiquent que notre mode de production agricole est mauvais. L’abondance relative de certains animaux et la disparition de presque tous les autres est la conséquence de notre mauvaise gestion, mais les populations qui s’en sortent ne sont, en aucun cas, la cause des problèmes.

Pour aller plus loin, voyez nos articles sur :

Conclusions

La chasse affecte négativement les populations animales et la biodiversité, accélère le réchauffement climatique, et ralentit les mécanismes d’adaptation naturels des écosystèmes aux activités humaines.

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En effet, l’humain détruit les écosystèmes pour y faire des monocultures, par exemple pour produire des grains, puis il regrette que tous les animaux disparaissent sauf certains granivores… accusant ces derniers d’être “surpeuplés” ! Les chasseurs prétendent rééquilibrer des écosystèmes qui n’existent plus que dans leur imagination en massacrant les rares animaux qui s’adaptent.

La réalité est même devenue pire récemment. Avec la pression de chasse qui devient proportionnellement de plus en plus grande puisque les espaces semi-naturels se réduisent encore plus vite que la population de chasseurs, et une mortalité grandissante due aux pesticides de plus en plus toxiques, même certains granivores ne survivent plus dans les cultures de grains ! C’est ainsi que des millions d’animaux (faisans, perdrix, même des “cochongliers / sanglochons)” sont élevés et introduits dans ces zones semi-naturelles pour soi-disant “repeupler”, en réalité pour assurer du gibier aux ·”gestionnaires” de la nature en manque d’adrénaline. Voici quelques analyses de chiffres connus.

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On ne peut que se rendre à l’évidence : la régulation est une excuse totalement fallacieuse pour justifier une activité sanguinaire d’un autre âge. Les chasseurs tuent par plaisir, comme le confirme un intéressé dans cette interview, et rien d’autre. La nature est déséquilibrée par des activités agricoles non durables, invasives, polluantes, et tirer sur les rares espèces qui y survivent ne fait qu’affaiblir les écosystèmes ou ce qu’il en reste. Au passage, cela empire la crise climatique, en diminuant encore la biomasse au profit du CO2 atmosphérique comme expliqué sur cette vidéo.

Vous pouvez commenter et poser vos questions ci-dessous ou nous rejoindre sur le groupe Econaturalistes.

Valéry Schollaert

Plusieurs articles sur ce blog vous permettent de comprendre la vision holistique de la conservation de la nature que nous tentons de communiquer à tous. Voici LA PAGE D’INTRODUCTION À LA VISION HOLISTIQUE où vous trouverez aussi les liens vers les autres articles.

8 thoughts on “La chasse : quel bilan au niveau écologique ?

    1. Merci pour votre soutiens et, surtout, merci pour les animaux ! Si vous me rejoignez sur Facebook, Twiitter ou Youtube, vous serez tenue a courant des nouveaux documents complémentaire. Il y a notamment une vidéo que je termine d’ici quelques jours qui devrait ajouter de l’eau à notre moulin.

      Bonne journée Nadia.

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    1. Merci Claudia ! Il a été lu 1300 fois environ, ce qui n’est pas mal pour un article de 2018, alors que mon site était encore très peu visité Si tu le partages, ça peut vite monter. Des articles récents que j’ai fais sur l’élevage, par exemple, ont parfois été vu 1300 fois… en une journée ! 🙂

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