Les projections primaires

L’identification des oiseaux super-facile!

Un critère, deux exemples!

Acrocephalus_orientalisi_1pp.JPG

Un critère qui permet de résoudre beaucoup de soucis d’identification entre espèces proches est la proportion de certaines rémiges sur l’oiseau au posé appelées “projections primaires”. Sur la photo ci-dessus, visualisez bien ce que sont les rémiges primaires -les plus grandes plumes de vol-, sous la ligne verte marquée d’un “P” (pour primaires) en bas à droite. On voit qu’il s’agit ici d’une dizaine de plumes foncées, très longues. Au-dessus de la ligne jaune et indiquée par un “T” (pour tertiaires) sont les rémiges tertiaires. Dans la majorité des cas il n’y en a que trois, et elles sont bien visibles; les flèches rouges montrent les trois tertiaires. Entre les primaires et les tertiaires sont coincées les rémiges secondaires (S), peu visibles, voire cachées lorsque l’aile est fermée. Nous n’en avons pas besoin ici. L’idée est de mesurer la longueur de la partie des primaires qui “dépasse” des tertiaires par rapport à la longueur des tertiaires. Acrocephalus_harterti_2pp.jpgÀ l’aide de la petite règle graduée ajoutée sur le grossissement des ailes de la Rousserolle orientale ci-dessus, on voit que la partie qui “dépasse”, donc la projection, (qui commence donc au “100” de la règle du dessus et au “0” de celle du dessous et termine au trait rouge) correspond à 60% de la longueur des tertiaires (la longueur de la règle est de celle des tertiaires).

Ci-contre, l’aile légèrement ouverte de cette Rousserolle stentor des Philippines (taxon harterti mal connu) permet de bien visualiser la structure. Les secondaires (SEC) prennent bien plus de place car moins serrées. Sur l’agrandissement, on voit les trois tertiaires (ici usées) et environ 7 primaires qui “projettent” à environ 50%. C’est donc assez semblable à la Rousserolle orientale de la grande photo du dessus. Rassurez-vous: une aussi petite différence est très subtile, et distinguer ces deux espèces pose beaucoup des problèmes même aux spécialistes. Nous allons utiliser ce critère dans des cas bien plus pratiques, mais ces deux exemples assurent une bonne compréhension de ce dont nous parlons.

Setophaga_coronata_pp1Avant de passer à la mise en application pratique, voici encore un troisième oiseau, ici une Paruline à croupion jaune, pour bien visualiser les projections primaires. Sous cet angle, sur l’aile droite, on ne voit que les trois tertiaires et la projection primaire, rien d’autre. Comparez à l’aile gauche : la proportion est évidemment la même, mais à gauche on voir les secondaires empilées les unes sur les autres, et la base des primaires jusqu’à la ligne blanchâtre (barre alaire formée par le bout des grandes couvertures).  Notez qu’en anglais comme en français, on indique souvent “PP” pour projections primaires (primary projections). Anthus_rufulus_1pp.JPGOn peut exprimer la proportion en pourcentage ou simplement en fraction. Il existe des oiseaux sans projection primaire comme la plupart des pipits (voyez le Pipit rousset ci-dessous, trois tertiaires marquées d’une flèche rouge, et aucune projection) et certaines cisticoles par exemple. D’autres dépassent largement les “100%” (par exemple les martinets).

Exemple 1: le Pouillot véloce et le Pouillot fitis

Deux espèces très communes et répandues en Europe, dans une partie de l’Afrique et de l’Asie posaient, et posent encore parfois, de gros soucis d’identification. Le Pouillot véloce (Phylloscopus collybita) et le Pouillot fitis (Phylloscopus trochilus) sont deux petits passereaux insectivores dont le plumage peut être identique au point que jusque dans les années ’80 on les croyait indiscernables quand ils ne chantaient pas. On a alors découvert que la structure de l’aile était différente, et les observateurs expérimentés ont appris à les identifier, mais souvent sans pouvoir expliquer convenablement pourquoi (on disait “le fitis est plus long de l’arrière”). Avec le développement de la photo numérique, on peut désormais voir ça dans les détails… ne nous privons pas!

phylloscopus_pp1.jpg

Le document ci-dessus permet de bien visualiser les projections primaires de 100% du Pouillot fitis à gauche et des pp du Pouillot véloce d’environ 60%. Il n’y a rien besoin de savoir d’autre pour distinguer ces deux oiseaux! Toutefois, pour ouvrir les horizons des esprits les plus curieux, à droite nous montrons l’aile du Pouillot de Canaries. Cette photo permet de montrer les extrêmes: d’une projection très longue (fitis) de migrateur au long cours, à une projection courte d’un oiseau sédentaire (P. des Canaries) en passant par un intermédiaire, migrateur partiel ou de distance moyenne (véloce). Cela permet aussi de montrer une autre structure d’aile, avec des secondaires qui sont plus longues que les tertiaires. Ces détails sont d’autres critères d’identification sur lesquels nous reviendrons. Notez aussi que plus la pp est longue, plus l’aile est pointue, ajoutant à l’aspect “svelte” de grand migrateur et “rondelet” des sédentaires.

phylloscopus_trochilus_1pp.JPGVoyons un pouillot ci-contre. Terne et sans contraste ni barre alaire, il pourrait être véloce ou fitis, et la couleur des pattes, pas totalement fiable même quand elle est bien nette (orange chez le fitis et noire chez le véloce) est ici indéfinissable. Toutefois, la projection primaire est longue (plus de 80% comme le montre le zoom et les petites règles blanches), confirmée par l’aspect pointu de l’aile. C’est un Pouillot fitis sans aucun doute possible.

Comparons maintenant avec un Pouillot véloce; encore une fois un individu difficile avec peu de critères et les pattes indéfinissables, ni noires ni orange mais plutôt un brun sombre intermédiaire. Pas de souci, la projection est visible. phylloscopus_collybita_1pp.JPGNous avons 60%, un véloce parfaitement dans la norme…

S’entraîner sur les pouillots vous permettra de visualiser de plus en plus vite cette projection, et ensuite de l’appliquer sur d’autres couples d’espèces qui se distinguent de la même façon comme les Hypolaïs polyglotte et ictérine, les Rousserolles des buissons et verderolle, et d’autres.

 

Exemple 2: le Combattant varié et le Bécasseau à queue pointue

La classification des oiseaux évolue car les connaissances s’améliorent. Le Combattant varié (Calidris pugnax) a, par le passé, été considéré comme un “chevalier” (appelé alors Tringa pugnax) puis comme appartenant à un genre monotypique (Philomachus) pour enfin trouver sa place parmi les bécasseaux. Sa nidification est très inhabituelle, spectaculaire, avec des simulacres de combats de mâles au plumage extraordinaire dans des “arènes”, mais en dehors du plumage nuptial, il ressemble aux autres bécasseaux. Il s’observe dans quasiment toute l’Europe, toute l’Afrique et toute l’Asie, et il s’égare parfois en Amérique où il fait alors la joie des cocheurs. Un de ses plus proches parents, qui présente un plumage parfois très semblable, est le Bécasseau à queue pointue (Calidris acuminata). Lui est nicheur en Sibérie orientale et hiverne surtout en Indonésie, Australie et Nouvelle-Zélande. Toutefois, il s’égare régulièrement plus à l’Ouest, notamment en Europe et en Afrique, et des individus ont même été signalés sur le continent américain. Il pourrait être sous-observé en Europe et en Afrique de par sa ressemblance avec le Combattant varié.

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Il y a pourtant un critère très facile pour distinguer les deux; il faut juste penser à le regarder. Il s’agit bien sûr de la projection primaire. Regardez la photo ci-dessus; à droite, le Combattant varié. Sa projection primaire très limitée; elle peut même être nulle. Chez le Bécasseau à queue pointue, à gauche, la projection primaire est bien longue. Cette projection nulle ou très courte du Combattant varié le distingue de tous les autres limicoles avec lesquels il pourrait éventuellement être confondu!

Remarquez que les tertiaires ont typiquement un pattern bien marqué très différent du bout des primaires, le plus souvent noirâtre chez ces limicoles. Toutefois, chez le combattant, les tertiaires sont très longues (expliquant la courte pp), au point qu’elles atteignent environ le bout de la queue, et c’est très confus! C’est aussi un critère en soi: si vous peinez à voir le bout des primaires, et avez l’impression que l’aile à “plusieurs pointes”, c’est probablement un Combattant! Voyons des exemples.

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Ci-contre on voit un limicole qui a de très longues plumes sur l’arrière: vu le pattern contrasté, ce ne sont pas des primaires mais des tertiaires. On distingue difficilement une pointe noirâtre qui constituerait une projection primaire (voir l’encart zoomé)!

Longues tertiaires, pp nulle ou réduite: c’est donc un Combattant varié.

 

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Ci-contre, un limicole vu de loin, dans la lumière rasante du soir. Les couleurs sont donc difficilement utilisables. Les pattes verdâtres peuvent convenir pour un “simple” Combattant, le bec assez court ne l’exclut pas non plus. En quelques instants, vous pouvez toutefois constater qu’il y a une projection primaire significative. La distance empêche sans doute une mesure précise mais qu’importe ! Une telle projection exclut le Combattant varié. Vous avez trouvé votre rare Bécasseau à queue pointue!

Vos questions sont les bienvenues sur le Forum Formation Ornitho de Facebook ou ci-dessous dans les commentaires. Il y a d’autres articles semblables sur notre page “Un critère, deux exemples” et des articles d’identification plus détaillés ici.

12 thoughts on “Les projections primaires

  1. Très intéressent le bécasseau à queue pointue, je plongerai dans mes photos de combattants, peut etre que j’en ai un qui sait?? Merci

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  2. Super article. Explications claires, gros boulot, bravo.
    En revanche, à côté de la photo du pipit rousset, tu écris : (voyez le Pipit rousset ci-dessous, trois primaire marquées d’une flèche rouge, et aucune projection) > dans ma compréhension du sujet, j’aurais pensé que les trois flèches rouges pointaient trois “T” tertiaires plutôt, et que les secondaires et primaires se cachaient dessous, non ?

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    1. Salut Myriam, je ne vois pas pourquoi j’aurais parlé de P. ibericus, ce sont des exemples pour illustrer le concept, pas une liste exhaustive. Sinon, je devrais mettre des milliers d’espèces…

      J’ai une bonne raison, par contre, de ne pas montré P. ibericus. Je ne l’ai jamais photographié…

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