Âge des Laridae

ichyaethus_melanocephalus_age1fr.jpgL’identification des Laridae est très complexe, une véritable affaire de spécialistes. Il faut noter toutefois que certaines espèces communes sont faciles à identifier, et que les différentes manières de catégoriser les âges sont utilisables par tous, y compris sur les espèces non-problématiques. Le but de cette page est de présenter ces différentes catégories appliquées aux Laridae de manière la plus simple possible, aidant ainsi qui veut à “âger” les espèces communes autour de chez lui. C’est utile en soi, et ça aidera considérablement la personne qui souhaiterait approfondir cette famille d’oiseaux passionnante. Il est impossible d’identifier les plumages les plus délicats sans bien comprendre les mues successives et les catégories d’âge.

Pour ceux qui lisent l’anglais, un site incontournable est Gull Research Organisation. Ce site s’adresse toutefois à des personnes ayant déjà bien compris les concepts expliqués ici. Si vous n’avez pas encore bien assimilé le vocabulaire de base concernant l’âge des oiseaux en général, nous vous invitons à lire attentivement notre page sur le sujet avant d’aller plus loin ; vous y apprendrez la notion d’oiseau nidifuge ou nidicole, ainsi que ce que sont les pulli et les juvéniles, des classes d’âge en 1cy, 2cy… ainsi que les premiers hiver, premiers été, etc. Ce dernier système est utilisé dans “Le Guide Ornitho“, ouvrage que nous recommandons à tous.

Une fois ce vocabulaire acquis, voyons étape pas étape les spécificités des Laridae, ainsi qu’un mode alternatif de description des catégories d’âge.

Les pulli – nidicoles ou nidifuges ?

Chroicocephalus_ridibundus_age2frOn pourrait affirmer, non sans humour : “Ils ne peuvent vraiment rien faire comme les autres, ces goélands !” Ça commence dès le plus jeune âge !

En effet, si les nidifuges sont des oiseaux précoces qui sortent du nid dans les heures ou jours qui suivent l’éclosion, les Laridae sont précoces, donc “nidifuges selon leur morphologie” mais, en pratique, restent le plus souvent au nid plusieurs jours pour différentes raisons extérieures. Si le nid est en colonie, chaque nid étant en soi un “mini-territoire” défendu par les adultes, le poussin ne peut pas vraiment quitter le nid ou ses abords immédiats car il serait immédiatement dans le territoire d’un autre couple duquel il serait chassé. Si les nids sont sur des falaises ou dans des marais, ses abords sont simplement impraticables pour un jeune non-volant, et donc il ne peut s’éloigner.

Une autre particularité de certains Laridae comme la Mouette de Bullens ou les Sternes fuligineuse et huppée, est de laisser sous la surveillance de quelques adultes volontaires de la colonie tous les jeunes non-volants ensembles, comme dans une “crèche”. Cela n’arrive pas nécessairement dans les premiers jours qui suivent la naissance, mais avant d’atteindre le stade juvénile.

En quelque sorte, les Laridae sont des “semi-nidifuges”, un bel exemple qui rappelle les limites de la catégorisation. La nature rentre rarement dans les cases !

Les juvéniles

Larus_michahellis_age2fr.jpgEntre 4 et 6 semaines après l’éclosion, les pulli sont couverts de leur premier plumage : ils sont donc juvéniles. Ils gardent ce plumage environ 2 ou 3 mois, parfois un peu plus selon les espèces, et entament une mue partielle. En effet, ils gardent leur rémiges et autres grandes plumes mais changent leurs plumes de contour, comme celles du corps et de la tête. En Eurasie et en Amérique du Nord, la nidification ayant lieu au printemps, tous les Laridae juvéniles sont 1cy (ils ont tous mués avant le 31/12).  Les plumes juvéniles qui ne sont pas muées lors des mues partielles sont gardées jusqu’à la mue complète qui a lieu plus d’un an après la naissance. C’est ainsi qu’elles peuvent être très usées (et décolorées) chez les 2cy (surtout en fin de 1er été).

Les patterns de mueChlidonias_hybrida_age1fr

Pour arriver à identifier les Laridae et leur âge, il est indispensable de comprendre quand ils muent leurs plumes et ce que ça implique.

En général, la vision simpliste du publique est que les oiseaux ont un plumage nuptial, lorsqu’ils se reproduisent (au printemps-été en Europe et Amérique du Nord), et un plumage inter-nuptial (non-nicheur) le reste de l’année. C’est vrai pour certains oiseaux, mais parfois un peu plus complexe. Concernant les Laridae, c’est effectivement ainsi que ça se passe pour les adultes. La plupart des espèces ont une mue partielle (les plumes de contour sont remplacées mais pas les rémiges) avant la nidification, notamment de la tête qui change souvent de couleur pour le plumage nuptial. Après (parfois pendant) la nidification, ils entament alors une mue complète (toutes les plumes) et prennent le plumage inter-nuptial (cette mue peut s’étaler sur plusieurs mois).

Il y a quelques rares exceptions comme la Mouette de Franklin qui présente deux mues complètes par an, ou encore la Mouette de Sabine qui effectue sa mue complète avant la nidification.

Chroicocephalus_ridibundus_age1frLe souci est que les Laridae mettent 2 à 5 ans pour atteindre la maturité, et que les plumages immatures ne peuvent pas être appelés “nuptiaux”, ça n’aurait aucun sens. C’est ainsi que le système “été/hiver” a été conçu : au lieu de dire “nuptial”, on dit “été” et au lieu de dire “inter-nuptial” on dit “hiver”. Ce système est encore largement utilisé, mais il a également ses limites. D’une part, nombre de Laridae entament leur mue partielle en plein hiver. Cela paraît donc assez approximatif de dire “plumage d’été” début mars !  Et la mue post-nuptiale peut s’entamer dès mai, donc il entrerait en plumage d’hiver… bien avant l’été. Ensuite, ce système n’a plus du tout de sens dans les régions du monde qui n’ont ni été, ni hiver mais des saisons sèches et humides, avec des Laridae qui nichent éventuellement toute l’année. Enfin, la troisième limite est que, chez les grands goélands, le mue complète prend tellement de temps que, finalement, c’est difficile de catégoriser un plumage en évolution quasi-permanente.

Terminologie Humphrey-Parks

C’est ainsi que d’autres systèmes ont vu le jour, et celui de Humphrey-Parks est largement utilisé au États-Unis, mais il ne semble pas (encore ?) avoir traversé l’Atlantique et aucune littérature francophone européenne ne paraît l’utiliser. Nous n’en parlerons donc que brièvement, en expliquant les bases pour celui qui souhaitent comprendre. Nous ne l’utiliserons plus dans le reste du document.

Le principe est de considérer que l’oiseau entame un cycle de mue dès que la première rémige tombe pour être remplacée et se termine l’année suivante au même moment. Ainsi, un grand goéland qui entame sa mue en mai, verra un cycle s’étaler de mai d’une année à mai de l’année suivante. On divisera alors ce cycle entre le “basic“, le plumage le plus fréquent (inter-nuptial pour les adultes ou “hiver” dans l’autre système) et le “alternate” qui est un plumage plus provisoire (plus court dans le temps) qui correspond au nuptial chez les adultes (“été” dans l’autre système). Les années se comptent alors en cycles.

Les pulli, juveniles et premiers hivers (H1) sont du premier cycle : 1st basic
Les oiseaux de premier été sont aussi du premier cycle : 1st alternate
La mue complète débute, on change de cycle : 2nd basic ( = 2ème hiver – H2)
Dès que la mue partielle s’entame : 2nd alternate (= 2ème été – E2)

On continue éventuellement (pour les espèces qui ne sont pas encore adulte à cet âge) : 3rd basic (3ème hiver – H3), 3rd alternate (3ème été – E3), 4th basic (4ème hiver – H4), 4th alternate (4ème été – E4), etc.

Lorsque les oiseaux sont adultes, ils sont considérés comme “definitive” (= définitifs) puisque leur plumage n’évolue plus. On parle alors de “definitive basic” (le plumage inter-nuptial) et “definitive alternate” (le plumage nuptial).

Chroicocephalus_poliocephalus_age1fr.jpg

Immatures non-juvéniles et les différentes méthodes de comptage

Chroicocephalus_genei_age1fr.jpgRappelons que le système de comptage de l’âge en années calendaires ne dépend pas des mues :  il suit le calendrier. Il est donc artificiel mais simple sur le principe.

L’année de sa naissance, juvénile compris, tout est oiseau est classé “1cy”. Au premier janvier, il devient 2cy, puis un an après, toujours au premier janvier, il devient 3cy et ainsi de suite. Les grands goélands peuvent parfois garder des traces d’immaturité jusqu’en 5cy, voir plus.

En se basant sur le rythme de mue et des saisons eurasiatique et nord-américaine, on peut “âger” les oiseaux de la façon suivante.

Le pullus développe son premier plumage complet >> juvénile
Le juvénile change les plumes de contour (mue post-juvénile, partielle) >> H1
Le premier hiver (H1) subit une mue partielle (*1)  >> E1
Le premier été (E1) subit une mue complète (**2)  >> H2
Le deuxième hiver (H2) subit une mue partielle (***3)  >> E2
Le deuxième été (E2) subit une mue complète (****4)  >> H3
Le troisième hiver (H3) subit une mue partielle  >> E3
Le troisième été (E3) subit une mue complète  (*****5) >> H4
Le quatrième hiver (H4) subit une mue partielle (******6)  >> E4
Le quatrième été (E4) subit une mue complète  >> adulte internuptial
L’adulte internuptial subit une mue partielle >> adulte nuptial
L’adulte nuptial subit une mue complète >> adulte internuptial

*1 : complète chez les Mouettes de Sabine et de Franklin
**2 : partielle chez la Mouette de Sabine (la suivante sera complète, puis partielle, etc.)
***3 : complète chez la Mouette de Franklin (comme toutes ses mues suivantes)
****4 : certaines espèces (2 classes d’âge) effectuent leur 1ère nichée avec ce plumage
*****5 : la plupart espèces “moyennes” effectuent leur 1ère nichée avec ce plumage
******6 : la limite entre les classes d’âge immatures supérieures et le plumage adulte varie d’une espèce à l’autre mais souvent aussi d’un individu à l’autre. Ce cas de figure est donc “type” pour servir d’exemple.

Voici les catégories des “classes d’âge”, semblables à celle du “Guide Ornitho”

La première catégorie (dans le Guide Ornitho, “2 classes d’âge”) concerne les espèces, souvent les plus petites, dont le plumage de 2ème hiver est habituellement identique, donc indiscernable de celui de l’adulte. Ces oiseaux ce reproduisent parfois ou souvent, mais pas toujours, lors de leur 2ème été (donc en 3cy). Voyez une manière d’analyser le plumage d’une “petite” espèce ci-dessous.

Chlidonias_leucoptera_age1fr.jpg

Chlidonias_leucoptera_age2fr

La seconde catégorie concerne les espèces dont le plumage de 2ème hiver est discernable de celui de l’adulte (dans le Guide Ornitho, “3 classes d’âge”) mais qui sont adultes en 3 ans maximum. Certains individus se reproduisent (ou tentent de se repoduire) déjà en 2ème été, mais la norme est une activité de reproduction en 3ème été (4cy).  Il s’agit souvent d’espèce “moyennes”, mais des petites peuvent aussi suivre ce schéma.

Ci-dessous, vous pouvez comparer le H1 (1cy) du H2 (2cy) : les couvertures marquées de brun, tout comme les tertiaires, le bec foncé, le bout de la queue et des primaires noir sont des différences bien visibles de l’oiseau le plus jeune avec celui qui a un an de plus. Ce dernier ressemble à l’adulte mais le bout de l’aile est marqué de noir (voyez l’adulte en encart avec ses primaires toutes blanches). Les trois photos sont prises à la même date, sur la même plage.

ichyaethus_melanocephalus_age2fr

Le troisième catégorie regroupe toutes les espèces qui sont encore immatures en 3ème été (dans le Guide Ornitho, “4 classes d’âge”). Ils se reproduisent en général la première fois en 4ème ou 5ème été (6cy) voir plus tard. Il s’agit des plus grandes espèces.

Un exemple type dans beaucoup de régions d’Eurasie, d’Afrique et même d’Amérique du Nord est le Goéland brun. Cliquez sur sa page du site Gull Research pour visualiser les différents plumages. Remarquez en parcourant cette page que dès la mue partielle entamée en février de l’année 3cy (manteau uni) jusqu’à la fin de la mue complète de l’année 4cy en août (couvertures encore marquées de brun), il est difficile de donner un âge précis, car les critères semblent “interchangeables”. Les oiseaux de cette page sont correctement identifiés grâce à leur bague. Identifions l’oiseau ci-dessous, sachant qu’il y a toujours un petit doute qui peut subsister entre 3cy et 4cy (E2 ou E3).

Larus_fuscus_age1fr.jpg

 

Les adultes

Larus_michahellis_age1.jpgOn appelle “adultes” les oiseaux ayant leur plumage définitif. Bien que quelques plumes immatures (souvent les régimes) soient parfois visibles, il s’agit des oiseaux de 3cy+ (à partir du 2ème hiver) pour ceux repris dans la première catégorie, 4cy+ (à partir du 3ème hiver) pour ceux de la seconde et 5cy ou 6cy+ (à partir du quatrième ou cinquième hiver) pour les autres.

Alternent alors deux plumages pour le restant de leur vie. Le plumage le plus fréquent est internuptial, qui commence avec la mue post-nuptiale (en Eurasie et Amérique du Nord : mai, juin, juillet voire août selon les espèces) jusqu’à la mue prénuptiale (en Eurasie et Amérique du Nord : janvier, février ou mars selon les espèces). Entre ces deux mues, on parle de plumage nuptial, et c’est logiquement la période de nidification.

Thalasseus_acuflavidus_age1frLa différence entre le nuptial et l’internuptial est souvent assez faible sauf au niveau de la tête. Par exemple, les Larus ont généralement la tête blanc pur en nuptial mais striées ou, au moins, “sale” en internuptial. La plupart des espèces qui ont la tête foncée en nuptial on la tête claire en internuptial, mais avec différentes marques ou taches foncées, parfois donnant l’impression “d’écouteurs sur les oreilles” pour les mouettes, ou de “casque” ou encore de “beret” pour les sternes. Certaines espèces qui ne sont pas des Larus mais ont la tête blanche en nuptial peuvent avoir un pattern semblable, en internuptial, aux espèces à tête foncée (par exemple, la Mouette tridactyle et le Goéland railleur).

Voyez nos pages sur les critères d’identification et les articles d’identification.

7 thoughts on “Âge des Laridae

  1. C’est vraiment très pédagogique, on comprend tout. Excellent.
    En revanche je ne peux pas m’empecher de rire en pensant à la galère sur le terrain. Avec toutes les espèces qui se mélangent.. aïe

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  2. J’ai observé hier à st Jean de monts 3 à 4 couples de laridés, grande taille, brun doré tacheté de plus clair.
    Cou fort, oeil noir ou foncé, bec foncé; je ne retrouve nulle part la description de cet oiseau. Observés à marée basse au bord de l’eau , mêlés aux autres goélands mais très différents. Ce n’était pas des juvéniles. Tendance à s’envoler et se poser sur la mer, contrairement aux autres goélands.
    Auriez-vous une idée ?

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  3. très intéressant, et j’ai lu et relu, je vais mettre cette page en épingle sur mon profil, car je l’avoue, je n’ai pas encore réussi à tout engranger dans ma +tite” tête; mais comme le dit une pub: j’y arriverais un jour …… amitié helvétique

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